Bref, elle est tombée.

Un bruit, une sonnerie incessante qui retentissait à travers les murs de la maison, une position inconfortable et une migraine qui me tiraillaient, j’étais réveillé, adossé à une table où des verres vides étaient les uns contre les autres en rang d’oignon. Une seule secousse, un mouvement brusque, cette océan étincelant pourrait se transformer en une patinoire dangereusement coupante. Le soleil était à son zénith comme chaque matin, matin ou après-midi ? Le dilemme des lèves tard, treize heure passé, devais-je déjeuner ou petit déjeuner ? La question ne se posait même plus. Une soirée à boire, danser et s’amuser terminée à la maison comme chaque fois, deux, trois puis quinze verres, la musique qui battait et la gueule de bois qui guettait, plus de doute, je venais de survivre à une énième nuit blanche. Lové dans ce fauteuil que j'aimais tant, bol de céréales en main, mes yeux restèrent fixés sur les niaiseries qui défilait à l'écran, des télés réalité et autres émissions qui vous rendaient encore plus idiot que vous ne l'étiez. Mais au fond que pouvais-je bien faire ? Mon coeur n'était pas au travail et mon esprit luttait pour ne pas sombrer à nouveau alors que mon ventre ne cessait de se manifesté comme un avertissement avant l'inévitable, je vous laisse deviner la suite. Je me laissais aller, un jour de plus à traîner dans cette grande maison que je chérissais tant. L'ennui s'installait peu à peu alors que les images s'enchaînaient dans un rythme effréné, volume baissé, mes yeux m'abandonnèrent peu à peu, le sommeil reprenait ses droits sur ma petite personne. Je ne devais pas, je ne pouvais pas me laisser partir de cette façon, m'assoupir et roupiller jusqu'au crépuscule avant d’entamer une nuit qui allait être une fois de plus mouvementé.
Je marchais sans trop savoir où aller, arpentant les rues d'Ottawa dans l'anonymat le plus total, casquette et lunettes de soleil, je me fondais dans la masse à la perfection. Un déguisement dégradant certes, mais pratique pour ne pas se retrouver entouré de sauvages, hurlant à la mort, se jetant les uns sur les autres pour un simple graffiti sur un bout de papier. Je flânais, le coeur léger à la manière d'un simple habitant comme si cette popularité s'était envolée rien que quelques heures, des minutes de répits dont je profitais. Nord, sud, est, ouest, mes jambes me menaient dans des endroits hasardeux, des café, des bars, j’avançais sans but comme un fantôme errant dans les recoins de cette grande ville. Mon corps marqua un temps d’arrêt en voyant ce bâtiment immense se dresser devant ma petite personne comme un pic au milieu d’Ottawa. Un pas, un coup de vent, mon statut d’anonyme s’envola avec cette casquette hideuse, chance ou malchance ? Mon cœur pesait le pour et le contre. Alors que j’essayais tant bien que de mal d’accéder le plus vite possible à ce qui semblait être ma seule issue de secours, j’entendais mon nom résonner derrière moi apercevant des jeunes filles arriver en furies, un sourire immense aux lèvres. Elles se bousculaient à la limite de se piétiner alors que j’accélérais soudainement le pas pour échapper à cette meute enragée. Pourquoi et comment avais-je pu atterrir dans ce centre commercial, noir de monde, une foule mouvante qui vous écrasait, se ruant sur vous pour un simple autographe, montrer ses dents pour une photo digne des plus beaux sourire Colgate que le monde ait connu, reprendre sa marche et s'arrêter sans cesse pour donner de votre petite personne. Se promener dans un centre commercial fut peut-être l'idée la plus folle qui m'ait traversée l'esprit, un nid à paparazzi et autres groupies prêtes à se jeter à vos pieds pour un simple regard, un simple sourire, j'étais définitivement fou à lier pour oser me pointer dans cet endroit un jour comme celui-ci. Au fond, avais-je réellement le choix ? Se faire poursuivre par une horde de jeunes filles (et jeunes hommes) enragé digne des plus grands films de zombie ou se faire interpeller violemment dans un lieu noir de monde revenait quasiment au même. Continuant de me frayer un chemin dans cette foule, mon regard fut attiré par un rassemblement autour d’un des nombreux escalators du centre. Interpellé par un bruit sourd suivi d’éclats de rire et de moqueries, j’avançais doucement, montant sur la pointe des pieds pour observer la scène. Une jeune fille, rouge de honte, la pauvre était assise sur le sol et semblait avoir trébuché devant cette foule idiote comme des moutons qui se serraient les uns contre les autres pour voir ce spectacle qui n’en était pas un. Ils ricanaient comme de vulgaires enfants, montrant du doigt cette jolie brune étalée sur ce sol crasseux comme un animal en cage. S’était-elle fait mal ? Avait-elle quelque chose de cassé ? Des questions que personne ne semblait se poser entre ce brouhaha immense, des curieux qui vinrent se rajouter pour observer la scène. S’en était trop, tomber n’était pas quelque chose d’exceptionnel, se mêler les pinceaux et se retrouver en étoile de mer sur le sol n’était pas la scène du siècle, la maladresse n’était pas le plus honteux des défauts. Les moqueries me provoquaient des haut-le-cœur et les rires me tiraillaient les oreilles, je me frayais un chemin en poussant violemment les abrutis qui ne cessaient de gigoter dans tous les sens, traversant cette foule de monstres avant d’atterrir devant la jeune fille lui tendant une main amical, le visage vide d’expression, un acte de gentillesse ? Peut-être, le respect et l’aide ? Surement. « Fermez la un peu, voir quelqu’un tomber et si choquant ? Retournez dépenser votre monnaie dans des choses inutiles au lieu de vous arrêter comme des idiots ! » Des messes-basses fusaient de tous les côtés, des visages se tordaient de surprise et peut-être de honte, la foule se dispersait lentement dans un calme quasiment olympien. Lâchant doucement la main de la jeune fille, j’esquissais un sourire avant de reprendre ma longue marche comme si rien ne s’était passé, j’étais le petit centre chaud où se pressait toutes les groupies de ce monde, bousculé, poussé et interpellé, ma vie reprit son cours, malheureusement. Je n’étais ni un sauveur, ni un bon samaritain, aider et gronder des personnes comme de simples enfants n’était pas mon passe-temps favoris, pour tout dire je détestais ça. La moquerie, voilà surement pourquoi j’avais réagis de la sorte, voir cette jeune fille perdu au milieu de tous, charrié par des inconnus sans raison particulière. Ma tête pivota une dernière fois vers l’arrière, le sourire aux lèvres en revoyant la jolie brune. « J’espère que vous allez bien quand même ! » Dis-je en haussant la voix pour percer les cris incessants de la foule avant de continuer ma longue route. Au fond, je n’étais peut-être pas sortis de mon trou pour rien, j’avais accomplis ma bonne action de la journée, j’étais heureux.

Bref, elle est tombée.

« Pour le moment je vais bien ! Et merci de m'avoir aidé. » Un petit rire s’échappa d’entre mes lèvres et un sourire radieux se dessina sur mon visage, pourquoi m’avait-elle remercié ? Certes c’est ce que font les personnes polies, bien rare en ce moment à vrai dire, mais je n’avais rien fait d’exceptionnel si ce n’est de l’avoir aidé, un geste qui m’avait d’ailleurs, beaucoup surprit venant de ma petite personne. Etais-je devenu quelqu’un de doux ? Au fond de moi, j’espérais que non. « J'aurais aimé vous remercier avec un café, mais ma carte bancaire est HS, je n'ai pas d'argent sur moi, je suis vraiment victime de malchance aujourd'hui ! » Elle ponctua sa phrase par un petit rire, elle me faisait presque de la peine, la désolation se reflétait dans ses yeux alors que mon regard se plongea dans le sien. Mon cœur se serrait en apercevant cette gêne et cette envie de remercier la seule personne qui ne lui avait pas ri au nez. J’avais envie de lui offrir ce café auquel elle tenait tant, lui dire que ce n’était pas de sa faute si le mauvais sort s’acharnait sur elle, j’étais étrangement gentil et d’une bonté incroyable, un sentiment et une manière d’agir qui se faisait rare chez moi me changeant du garçon trop sûr de lui et qui se fiche des autres non, en voyant cette jeune fille qui se tenait droite comme un pique devant ma petite personne. Un sourire était scotché sur mon visage ne voulant décidément pas foutre le camp. Elle allait me prendre pour une de ces enflures ne cherchant qu’à tirer un coup, je devais arrêter de sourire mais bordel je ne pouvais pas. « Mais je suis vraiment gênée de ne pas pouvoir vous remercier comme il se le doit ! » Elle était sincère, terriblement sincère. Depuis combien de temps n’avais-je pas eu ce petit pincement au cœur en voyant des yeux briller de cette manière débordant de sympathie ? Trop longtemps peut-être. Je ne lui avais pas sauvé la vie, ce que j’avais fait n’avait aucun impact réel sur son existence et pourtant, elle voulait me remercier. Ce foutu sourire ne s’en allait pas non, il grandissait et une phrase s’échappa d’entre mes lèvres. « Je vous invite » Pourquoi, pourquoi avais-je dit ça ? Est-ce que je le pensais réellement ? Qu’importe la réponse, je l’avais gentiment convié à me rejoindre autour d’une table. Il s’était évaporé, ce petit rictus qui figeait mon visage s’en était allé laissant place à une expression de surprise, comme si j’étais moi-même choqué de ce propos. « Je veux dire… Si vous n’avez pas d’argent, c’est pas un problème » Je m’enfonçais, oui, pourquoi est-ce que je ne pouvais tout simplement pas la fermer ? J’en étais probablement incapable « Enfin… si vous voulez » C’était le pompon, la cerise sur le gâteau, on s’était arrêté devant un café, le hasard faisait bien les choses – ou peut-être mal ? – qu’importe, nous étions là, je lui avais proposé, je ne pouvais pas refaire marche arrière et puis peut-être que cette rencontre allait sauver ma journée ? « Ne dites pas non, j’aurais l’air bête s’il vous plait » Le sourire revint à l’attaque, un rictus qui témoignait de ma gêne, si elle refusait, j’allais être fiché et les journaux allaient s’en donner à cœur joie. La foule mouvante manquait de m’emporter avec elle, mes yeux restèrent fixés sur cette jolie brune les yeux pétillants et a petite personne restait pendu à ses lèvres attendant sa réponse, le cœur battant à la manière d’un adolescent invitant une fille pour la première fois.